Le docteur Derome dont la renommée a franchi bien
des frontières, a demeuré sur le Plateau Mont-Royal
au début des années 1900. Tout d’abord
au 14 carré Saint-Louis qui correspond maintenant au
318 puis au 138 rue Cherrier, de nos jours le 512. Les paroissiens
de l’église Saint-Louis-de-France l’entendaient
chanter aux offices religieux du dimanche.
Dès le début de sa carrière, il s’est
intéressé à la médecine judiciaire
dont il est vite devenu expert : autopsie, balistique,
biologie, graphologie et photographie judiciaire n’ont
bien vite plus de secrets pour lui. Ses expertises sont reconnues
partout au Canada et aux États-Unis.
Sa plus grande réalisation est certainement la création
en 1914 du premier laboratoire de recherches médico-légales
et judiciaires en Amérique du Nord dont il devient
le directeur et médecin expert. Il est important de
souligner ici que le docteur Derome a reçu à
deux reprises le célèbre Edgar Hoover, alors
directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), qui lui
demande conseil afin de créer aux États-Unis
le premier laboratoire technique à Chicago en 1932:
18 ans après celui de Montréal!
Né en 1877 à Napierville, après ses
études classiques il se dirige vers la faculté
de médecine de l’université Laval (qui
deviendra l’université de Montréal en
1920) rue Saint-Denis. Médecin à l’hôpital
Notre-Dame en 1902, il constate très tôt que
Montréal possède l’un des taux de mortalité
infantile les plus élevés du monde industrialisé.
L’Est de Montréal est durement touché
car les quartiers ouvriers francophones enregistrent des taux
de mortalité deux fois plus élevés que
ceux des quartiers anglophones. Il se sent impuissant et croit
que la médecine de laboratoire, une meilleure hygiène
et la pathologie pourraient jouer un rôle accru :
il veut contribuer à la médecine d’une
autre façon, il se voit dans un laboratoire.
Après mûre réflexion il donne sa démission
à l’hôpital et trouve du travail à
la faculté de médecine en tant que démonstrateur
d’histologie. Ses services sont si appréciés
qu’en 1908, on lui confie la direction du nouveau laboratoire
de pathologie et d’histologie de l’hôpital
et on lui accorde même un congé d’un an
pour aller étudier à Paris, à la Sorbonne,
afin de se spécialiser en médecine légale
et en psychiatrie. Il apprend d’Alphonse Bertillon la
technique de mesures anthropométriques qui permet d’établir
scientifiquement l’identité des délinquants
et reconnaître ainsi les récidivistes. Il remporte
brillamment le diplôme de médecin légiste
et revient au pays où il reprend son travail à
l’hôpital.
Cependant après avoir vu et travaillé dans
les laboratoires de Paris, il constate qu’ici les locaux
sont très rudimentaires : il s’engage alors
dans un projet de réforme du système judiciaire
qui aboutit à la création du premier laboratoire
en 1914 qui est situé alors au dernier étage
de la morgue de Montréal. Le docteur Derome s’entoure
d’une équipe d’experts, entre autres :
Franchère Pépin, pharmacien-chimiste spécialiste
en toxicologie qui deviendra expert en poisons et en explosifs,
ainsi qu’un photographe judiciaire afin d’immortaliser
les scènes de crime pour permettre aux enquêteurs
de réaliser une reconstitution juste des événements
à partir de la position des corps et des objets environnants.
Le laboratoire contribue à améliorer
les méthodes scientifiques susceptibles d’aider
les enquêteurs de la police; en 1924 il déménage
rue Saint-Vincent. On fait appel à ses services un
peu partout au Canada et plusieurs villes américaines
souhaitent obtenir ses services. L’expertise du
laboratoire et du docteur Derome sera mise à contribution
dans plusieurs affaires judiciaires qui ont fait grand bruit
à l’époque. En voici quelques-unes :
- L’affaire Dubois en 1914 : Blanche Dubois,
19 ans, est sauvagement assassinée dans la boutique
de chaussures qu’elle gère avec sa mère.
Un ancien employé est arrêté mais faute
de preuves l’enquête piétine. On fait
appel au Dr Derome expert en homicides, qui va donc examiner
avec minutie les vêtements du suspect ainsi que l’arme
du crime, un marteau retrouvé sur les lieux. Finalement,
c’est sur le manteau de Dion que le médecin
légiste va trouver ce qu’il cherchait :
du sang humain. Après avoir témoigné
lors du procès, ses expertises seront remises en
question par l’avocat de la défense et Joseph
Dion sera finalement acquitté en octobre 1914.
- L’affaire de la femme Gagnon (Marie-Anne Houde)
en 1920 : Aurore Gagnon, 10 ans, martyrisée
longuement et victime de mauvais traitements par sa belle-mère
qui lui donnait à boire de la lessive. Le Dr Derome
a examiné l'accusée au point de vue mental
et il déclare que les actes reprochés à
l'accusée ne peuvent être imputables à
la folie et qu’elle était saine d’esprit
au point d’être responsable de ses actes. Elle
sera condamnée le 21 avril 1920 à être
pendue mais sa peine sera commuée en emprisonnement
à perpétuité. Son mari Télesphore
Gagnon le père d’Aurore sera trouvé
coupable d’homicide involontaire passera 5 ans à
Saint-Vincent-de-Paul.
- L’affaire Delorme en 1922 : le 7 janvier 1922,
le corps de Raoul Delorme est retrouvé et son
frère, l’abbé Adélard Delorme,
sera accusé de meurtre. Première analyse balistique
en Amérique du Nord par le docteur Derome lors de
ces procès : il y en aura quatre à la
suite desquels l’abbé Delorme est innocenté.
Dès le premier jour cette affaire a semé la
controverse et fut largement largement couverte dans les
médias. « Les experts et les policiers
qui menèrent l'enquête furent vivement critiqués
par une partie de la société dans cette affaire
alors que d'autres les considérèrent comme
de vrais héros qui ont su résister à
la pression de l'institution la plus puissante de l'époque… »
- L’affaire Morel ou le hold-up de la Banque d’Hochelaga
: le 1er avril 1924, au viaduc de la rue Ontario, près
de la rue Moreau, un groupe mené par Louis Morel
(ancien détective de la police de Montréal,
limogé en 1924) prend en filature le fourgon de la
Banque d'Hochelaga, l’intercepte et s’enfuit
avec un butin de 140,000$: il y aura deux morts. Le docteur
Derome procède aux autopsies, s’intéresse
aux empreintes digitales et à l’analyse du
masque en tissu retrouvé dans la voiture des fuyards.
Suite au procès quatre individus dont Morel seront
pendus et deux autres condamnés à la prison
à vie. Une enquête est réclamée
car certains policiers étaient mêlés
à l'histoire. Elle conduit à l'arrestation
de plusieurs policiers corrompus : ce sera l’enquête
Coderre.
À l’âge de cinquante-quatre ans, un cancer
l’emporte le 24 novembre 1931.Dans les heures qui suivent
sa mort, la presse écrite lui rend hommage, tant dans
les journaux francophones qu’anglophones et les drapeaux
de l’Université de Montréal sont en berne.
Le docteur Wilfrid Derome est inhumé au cimetière
de la Côte-des-Neiges.
Le docteur Derome reçoit aussi un vibrant hommage
de ses collègues américains dans le journal
American Journal of Police Science où on insiste
sur l’importance de sa contribution scientifique, dont
son Précis de médecine légale
publié en 1920 ainsi que le premier traité canadien
d’expertise balistique publié en 1929.
Depuis 2001, l'édifice de la Sûreté du
Québec rue Parthenais à Montréal, qui
loge le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine
légale, porte le nom d'Édifice Wilfrid-Derome
en son honneur.
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