
«
Arrivés dans la rue Laval, qui faisait partie du chic
square Saint-Louis, les quatre passagers débarquèrent
devant les lourdes portes en bois de limposante demeure
du Dr Lesage. Demeurée sur le trottoir, le regard fixé
sur le plan deau agrémenté dune
jolie fontaine, Mary resta bouche bée. Autour de la
fontaine, il y avait de multiples maisons ornementées
de balcons et de dentelles de bois peint. Mme Lesage, ayant
bien remarqué le regard admiratif de Mary, sapprocha
delle. Sûre de leffet quelle pouvait
produire sur une fille fraîchement débarquée
de sa campagne natale, elle sadressa alors à
Mary en ces termes : - Magnifique, nest-ce pas ?
Et, sans attendre la réponse de Mary, Mme Lesage ajouta
avec une certaine vantardise dans la voix :
- Imaginez-vous donc quà quelques pas seulement
de notre demeure, au numéro 3686, se trouve lancienne
résidence dun jeune poète, Émile
Nelligan, fils dun Irlandais et dune Canadienne
française. Sachez, dit-elle
les lèvres un peu pincées, que vous venez de
poser le pied dans ce qui constitue « le berceau de
laristocratie
canadienne-française de Montréal »!
Mary comprit alors quelle allait habiter dans un monde
très différent du sien, un monde où,
apparemment, tout faisait partie de lHistoire. Elle
pensa soudain à ses parents et se demanda si un tel
luxe les aurait rendus plus heureux quils ne létaient
déjà. Mais, quelque part au plus profond delle-ême,
elle sentait que le bonheur se trouvait ailleurs que dans
tous ces bibelots, rideaux, lustres ou tableaux. Maryétait
convaincue que le bonheur résidait dans des chosessimples
comme jouer de la musique ou samuser du vent sournois
décoiffant ses cheveux ».