Gaston Miron
né le 8 janvier 1928 à Saint-Agathe-des-Monts
décédé le 14 décembre 1996 à Montréal

Sa vie, son oeuvre

Photo : Jean-Paul Stercq

 
Auteur du recueil de poèmes L’homme rapaillé, «Miron le magnifique» 1 fut consacré poète national du Québec. Cette œuvre maîtresse de Gaston Miron est l’une des plus connues de la poésie québécoise. Elle a été traduite, en tout ou en partie, dans une vingtaine de langues.

Gaston Miron est né le 8 janvier 1928 à Sainte-Agathe-des-Monts dans les Laurentides. Il est l’aîné d’une famille de cinq enfants et le seul garçon. Le père de Gaston Miron, Charles-Auguste, est menuisier-charpentier, comme le furent avant lui tous les ancêtres Miron depuis leur arrivée en Nouvelle-France en 1658. La mère de Gaston Miron, Jeanne Michauville, est originaire du village de Saint-Agricole (devenu Val-des-lacs) dans le canton de l’Archambault.

Le grand-père maternel de Gaston Miron appartient à cette génération d’ouvreurs de pays du mouvement de colonisation des Pays-d’en-haut lancé par le curé Labelle. Aux yeux du jeune Gaston Miron, ce grand-père est un géant, un fondateur de pays, une homme grand format nature. Un homme qui est monté dans le Nord en 1900 avec ses quatre frères et qui, en défrichant le rang de la Quenouille, le rang de l’Archambault et le rang de l’Orignal, a fondé Saint-Agricole. Un soir, alors que le jeune Gaston lit les journaux sur la galerie de la maison de son grand-père, ce dernier lui dit « Je ne sais pas ce que je donnerais pour savoir lire et écrire ». Silence. Et il ajoute « Tu sais, quand on ne sait pas lire et écrire, on est toujours dans le noir ».  Cette révélation sera un choc pour Miron. Par la suite, Miron a confié s’être senti coupable de savoir lire et écrire, alors que son grand-père était analphabète. Miron a fait de sa poésie une manière d’être le témoin de cette misère du noir historique de l’analphabétisme. Plus tard, il parlera de son écriture comme d’une manière de ferrailler dans le noir du poème pour faire jaillir la lumière du noir analphabète et témoigner de l’immense savoir oral de ses ancêtres. Avec sa poésie, Miron voulait qu’un jour tout le monde ait dans son cœur la beauté de la vallée de l’Archambault.

À 12 ans, la vie de Gaston Miron bascule à la suite du décès de son père, mort d’un cancer à 44 ans. Pour l’aider à poursuivre son éducation, les frères de la communauté du Sacré-Cœur, qui dirigent l’école primaire de Sainte-Agathe, proposent au jeune Gaston de prendre en charge la suite de ses études s’il souhaite devenir frère instituteur. Gaston, alors premier de classe et enfant de chœur, accepte et quitte sa famille pour le juvénat du Mont-Sacré-Cœur à Granby le 13 avril 1941. C’est là que le poète est né, dans la mélancolie du souvenir des vieilles montagnes râpées du Nord, des lacs de cristal, et des paysages de son enfance.Gaston Miron restera cinq ans au Mont-Sacré-Cœur sans retourner une seule fois dans sa famille, jusqu’à ce que, muni de son brevet d’enseignant, frère Adrien soit engagé comme instituteur à l’école primaire Jean-Baptiste Meilleur, rue Fullum à Montréal. À la fin de l’année scolaire, au terme d’une retraite, il décide de renoncer à ses vœux perpétuels. En juillet 1947, il rejoint sa famille qui vit maintenant à Saint-Jérôme. Il décroche quelques petits boulots, dont celui d’apprenti-plombier, avant de décider de venir s’installer à Montréal.

En septembre 1947, Miron s’inscrit aux cours du soir de la Faculté des sciences sociales de l’Université de Montréal dans l’espoir de devenir journaliste, écrivain ou syndicaliste. Il ira habiter chez le cousin de son père, Henri Miron, au 505 est, rue Duluth sur le Plateau Mont-Royal. Il y restera trois années, le temps de ses études. C’est durant ces années qu’il découvre Montréal grande comme un désordre universel 2. Montréal, la ville opulente, la grande St. Catherine street qui galope et claque dans les Mille et unes nuits des néons 3. Durant ces années, il fréquente la rue Saint-Denis, l’axe spirituel de la ville selon lui, et les petits cafés et restaurants de la bohème artistique et des milieux d’avant-garde. Miron participe aussi activement à deux mouvements de jeunesse : l’Ordre du Bon Temps et la Clan des Routiers Saint-Jacques. Il se démarque comme animateur social et journaliste du bulletin de liaison de ces groupes. Sa découverte du pays s’accentue par le biais du folklore et de la culture populaire.

En 1953, Gaston Miron publie un premier recueil de poésie, Deux Sangs, avec son ami Olivier Marchand aux Éditions de l’Hexagone. Deux Sangs sera le livre fondateur des éditions de l’Hexagone, nom donné en évocation à la figure géométrique représentant les six poètes qui ont l’ont créé : Gaston Miron, Olivier Marchand, Gilles Carle, Jean-Claude Rinfret, Mathilde Ganzini et Louis Portugais. D’abord dirigé de manière très collégiale, l’Hexagone deviendra l’une des maisons d’édition les plus dynamiques au Québec dans le champ de la poésie. Miron y consacrera 30 années de sa vie de manière quasi bénévole. Cette aventure éditoriale visait à faire de la poésie une force agissante dans le contexte d’une culture canadienne-française en mutation, en train de se redéfinir comme québécoise. « Chaque recueil publié à l’Hexagone, dira Miron, constituait – dans la perspective d’une constitution d’une littérature nationale – une affirmation de soi de plus 4" .L’Hexagone fut aussi une manière de porter la littérature québécoise aux quatre coins du monde, ce que Miron fit avec brio en devenant un de nos plus grands ambassadeurs culturels ; tant en Europe, en Amérique du Sud qu’aux États-Unis.

Dans les années 1950, durant la période où l’Hexagone prend son essor, Miron a habité en divers endroits de Montréal, notamment comme pensionnaire dans une famille rue Saint-Hubert, rue Saint-Denis et rue Saint-Christophe ; avant de s’installer comme chambreur au 4451, rue Saint-André. Cette adresse sera son port d’attache pendant onze ans (1957-1968). Une plaque commémorative souligne d’ailleurs la valeur symbolique de cette adresse, là où plusieurs des poèmes de L’homme rapaillé ont été composés.

En 1959, Miron bénéficie d’une bourse du Conseil des Arts du Canada pour étudier les techniques de l’édition à l’école Estienne à Paris. De 1963 à 1968, Miron fait partie de l’équipe de rédaction de la revue Parti Pris, une «revue politique et littéraire qui contribuera à transformer le paysage intellectuel québécois en militant en faveur du socialisme, du laïcisme et de l’indépendantisme 5 ». En 1959, Miron bénéficie d’une bourse du Conseil des Arts du Canada pour étudier les techniques de l’édition à l’école Estienne à Paris. De 1963 à 1968, Miron fait partie de l’équipe de rédaction de la revue Parti Pris, une «revue politique et littéraire qui contribuera à transformer le paysage intellectuel québécois en militant en faveur du socialisme, du laïcisme et de l’indépendantisme.

À 40 ans, Miron quitte la rue Saint-André pour un logement sur le carré Saint-Louis, un des grands squares victoriens de Montréal où a vécu le poète Émile Nelligan. Pendant les seize années qui suivront, le carré Saint-Louis deviendra le centre nerveux des activités de Gaston Miron. Dans les années 1970, on y trouve une densité extraordinaire d’artistes, d’écrivains, de journalistes et autres intellectuels proches de Miron. Plusieurs événements marquent la vie de l’homme, du poète et du militant durant les années vécues au carré Saint-Louis. C’est là que Miron devient le père d’une fille, Emmanuelle, qu’il élèvera seul, la mère étant trop instable psychologiquement pour s’occuper d’elle.

L’année 1970 sera particulièrement intense dans la vie de Miron. D’abord, en mars 1970, la première «Nuit de la poésie», organisée par Miron, Noël Cormier et Claude Haeffely, confirme le rôle de catalyseur social de la poésie au Québec. En avril 1970, grâce au prix de la revue Études françaises, et à la ténacité de quelques amis, L’homme rapaillé est publié aux éditions de l’Hexagone.Puis, lors des événements d’Octobre 1970, Miron est arrêté à la suite de la promulgation de la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau. À l’instar de 350 personnes, Miron est détenu. Il restera treize jours en prison sans aucun contact avec l’extérieur. Il racontera s’y être senti comme un prisonnier de guerre dans un camp de concentration, car déchu de tous ses droits.

L’homme rapaillé, une œuvre très attendue et dispersée dans des publications devenues introuvables, a été écrite sur près de vingt ans et témoigne du mouvement de transformation de l’écriture de Miron. Lui qui, au début, n’écrivait que pour lui-même, a progressivement fait de ses poèmes un outil de dénonciation de sa réalité d’homme blanc colonisé et aliéné, dont la langue   était faussée par les calques d’une autre langue : l’anglais 6. Le second volet de l’évolution de l’écriture de Miron, dont témoignent les poèmes de «La marche à l’amour» et de «L’amour et le militant» est son rapport aux femmes. D’abord idéalisée, rédemptrice, sacralisée, la vision que Miron a des femmes, et de son rapport avec elles, évolue vers un plan terrestre et un rapport égalitaire. Parle-moi de toi parle-moi de nous, écrira Miron dans «L’amour et le militant 7 »; témoigne du fait que la relation devient celle de deux êtres à part entière et que le dialogue commence. La femme cesse d’exister uniquement en fonction de l’homme et de la poésie ; les nouveaux contours qui apparaissent sont ceux du bien-être, du bonheur et de l’érotisme.

Toute sa vie, Gaston Miron a été déchiré entre l’écriture et l’action. Pour lui, le destin du poète est indissociable de celui du pays. Miron est là, dans cette tension entre la volonté d’écrire et le combat pour la libération nationale. Miron vivra les mêmes tensions entre le fait d’être écrivain et éditeur  en même temps; deux démarches contradictoires selon lui, parce que l’auteur doit chercher partout des choses pour nourrir son œuvre, alors que l’éditeur doit continuellement s’oublier pour entrer dans l’œuvre des autres.

Miron s’est aussi assumé dans le rôle de l’intellectuel, autant dans le langage que dans l’exercice de sa fonction critique. À cet égard, comme se sont souvenus les étudiantes et les étudiants québécois en grève générale au printemps 2012 pour leur combat contre la hausse des frais de scolarité, Miron aura été le premier intellectuel canadien-français à lancer, dès 1958, un mouvement collectif pour l’accès démocratique et gratuit à l’éducation 8 . Celui qui a parlé de son écriture comme d’une manière de ferrailler dans le noir du poème pour faire jaillir la lumière a, toute sa vie, fait de sa poésie un combat pour que les Canadiens français se réapproprient leur langue, leur culture et leur dignité, et se donnent les leviers politiques et les institutions nécessaires à leur émancipation.

À la fin de sa vie, Miron a beaucoup souffert de la défaite du OUI appelant les Québécois à voter pour l’indépendance en 1980 et 1995. Celui qui a placé au cœur de sa vie le projet collectif et global de la libération du Québec, venait de voir s’éteindre l’espoir de faire de la Terre de Québec 9, un pays. Celui qui n’avait jamais voyagé vers un autre pays que toi mon pays, celui qui avait écrit un jour j’aurai dit oui à ma naissance 10, ne se remettra jamais vraiment de ce jour fatidique du 30 octobre 1995 où le NON l’emporta pour une seconde fois.

Un an plus tard, le 14 décembre 1996, Gaston Miron décède d’un cancer à l’hôpital Notre-Dame à Montréal. Il a 68 ans. Le gouvernement du Québec, alors dirigé par Lucien Bouchard, décrète des funérailles nationales qui eurent lieu le 21 décembre 1996 à l’église de Sainte-Agathe-des-Monts. Selon les souhaits exprimés dans son testament, Gaston Miron, homme d’héritage et de descendance, est inhumé auprès de son père et de son grand-père dans le cimetière de sa ville natale.

L’ultime adresse de Miron fut le 1610 est, boul. Saint-Joseph sur le Plateau Mont-Royal. C’est là que Miron a vécu les dernières années de sa vie auprès de Marie-André Beaudet, sa compagne de vie, sa femme-éternité.

Note 1 - Miron le magnifique est le titre de la conférence donnée par Jacques Brault, professeur au département d’études françaises de l’Université de Montréal en février 1966.

Note 2 - Extrait du poème La marche à l’amour, L’homme rapaillé.

Note 3 - Extrait du poème Monologues de l’aliénation délirante,  La vie agonique, L’homme rapaillé.

Note 4 -Gaston Miron, L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1993, Éditions l’Hexagone, 2010

Note 5 -Marie-Andrée Beaudet, Chronologie, L’homme rapaillé, 1999, Gallimard

Note 6 - Miron le magnifique est le titre de la conférence donnée par Jacques Brault, professeur au département d’études françaises de l’Université de Montréal en février 1966.

Note 7 - Tirés du poème La marche à l’amour, L’homme rapaillé

Note 8 - En 1958, Gaston Miron rédige La déclaration des intellectuels canadiens de langue française relativement à la démocratisation de l’enseignement dans la province de Québec – dans laquelle il réclame la démocratisation et la gratuité de l’enseignement à tous les degrés. Parmi la centaine de signataires, on retrouve Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier et Fernand Dumont.

Note 9 - L’octobre, L’homme rapaillé, ibid

Note 10 - Pour mon rapatriement, L’homme rapaillé, ibid

Jocelyne Lavoie (septembre 2016)
Bibliographie
  • Nepveu, Pierre (2012) Gaston Miron. La vie d’un homme, Boréal, Montréal, 900 p.
  • Beaudet, Marie-André (2006) Album Miron, Montréal, l’Hexagone, 212 p.
  • Miron, Gaston (1998) L’homme rapaillé, Montréal, Typo, 252 p.
  • Miron, Gaston (2004) Un long chemin. Proses 1953-1996, l’Hexagone, Montréal, 477p.
  • Miron, Gaston (2010) L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1992, L’Hexagone, Montréal, 420 p
Mis à jour le : 25-sep-16
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